Dans leurs entretiens, Alfred Hitchcock et François Truffaut dialoguent ainsi.
F. T. Je reviens à la scène de l’avion dans le désert. L’aspect séduisant de cette scène réside dans sa gratuité même. C’est une scène vidée de toute vraisemblance et de toute signification; le cinéma, pratiqué de cette façon, devient vraiment un art abstrait, comme la musique, Et cette gratuité que l’on vous reproche souvent constitue précisément l’intérêt et la force de la scène. C’est très bien indiqué par le dialogue quand le paysan, avant de monter dans l’autocar, dit à Cary Grant, en parlant de l’avion qui commence à évoluer au loin:

«Tiens Voilà un avion qui sulfate et pourtant il n’y a rien à sulfater...»
L’avion ne sulfate rien et on ne devrait jamais vous reprocher la gratuité dans vos films, car vous avez la religion de la gratuité, le goût de la fantaisie fondée sur l’absurde.
A. H. Le fait est que, ce goût de l’absurde, je le pratique tout à fait religieusement.
F. T. Une idée comme celle de l’avion dans le désert ne peut pas germer dans la tête d’un scénariste car elle ne fait pas avancer l’action, c’est une idée de metteur en scène.
A. H. Voici comment l’idée est venue. J’ai voulu réagir contre un vieux cliché: l’homme qui s’est rendu dans un endroit où probablement il va être tué. Maintenant, qu’est-ce qui se pratique habituellement? Une nuit «noire» à un carrefour étroit de la ville. La victime attend, debout dans le halo d’un réverbère. Le pavé est encore mouillé par une pluie récente. Un gros plan d’un chat noir courant furtivement le long d’un mur. Un plan d’une fenêtre avec, à la dérobée, le visage de quelqu’un tirant le rideau pour regarder dehors. L’approche lente d’une limousine noire, etc. Je me suis demandé: quel serait le contraire de cette scène? Une plaine déserte, en plein soleil, ni musique, ni chat noir, ni visage mystérieux derrière les fenêtres !

Je donne une explication à mes penchants criminels dans "Les Lieux du Mystère": "CLAEYS maudit l'emploi que le théâtre de la vie lui a dévolu. Emploi dans le sens : Jeune premier, ingénue, servante ou valet. Lui, il est un spécialiste de la représentation de la mort violente, du crime organisé et de la délinquance artisanale. Et quand il dessine simplement une jolie fille, son public cherche un maniaque caché derrière un pan de mur foudroyé ou un Chesterfield patiné. Voici un petit florilège de sa mortifère industrie..."

 

Je crains que l’ensemble de ma carrière laisse soupçonner, de ma part, une forme de complaisance envers le crime. Dans « La Poison », Sacha Guitry écrit ce dialogue :

Le Procureur : Et c’est pourtant ignoble de tuer !

L’avocat : Oui, mais ça fait vivre tant de monde... !

Et en chœur : A commencer par nous !

Quand nous trouvons une bonne formule, nous avons naturellement le désir de la replacer. Au cas où, par hasard, elle n’aurait pas été appréciée à sa juste valeur, la première fois ! Ainsi dans son dernier film, « Les trois font la paire », récit de la courte vie d’un jeune voyou fort sympathique mais volontiers assassin, Sacha fait une nouvelle variation sur ce thème. A la fin du film, c’est l’auteur lui-même qui conclut assis derrière son bureau : « Je m’en serais voulu de passer pour complaisant à l’égard des criminels… Mais, d’autre part, qu’il y ait des criminels, je l’admets volontiers : il faut bien que tout le monde vive ! »

Il se trouve que les circonstances m' ont conduit à illustrer des romans noirs, genre où, nul ne sait pourquoi, il est question de crimes ! II y a cependant, et rassurez-vous, une justice et tous ces agités du bocal perdent définitivement la tête un petit matin... Ou bien, pris de remords, il se font sauter la tête. A moins qu'ils ne finissent à l'ASILE PSYCHIATRIQUE...

Je me souviens du code d'autocensure régissant la production des films et établi, à la demande des « major compagnies », par le sénateur William Hays. Il fut appliqué à partir de 1934 et tomba en désuétude à la fin des années soixante. En voici les termes.

« Aucun film ne sera produit qui baissera les standards moraux de ceux qui le voient. La sympathie du spectateur ne doit jamais être jetée du côté du crime, des méfaits, du mal ou du péché.

Seuls des standards corrects de vie soumis aux exigences du drame et du divertissement seront présentés.

La LOI, naturelle ou humaine, ne sera pas ridiculisée et aucune sympathie ne sera accordée à ceux qui la violent.

Crimes

Ceux-ci ne seront jamais présentés de façon à créer la sympathie avec le criminel ou inspirer à d'autres un désir d'imitation.

Meurtre :

- La technique du meurtre doit être présentée de manière à ne pas encourager l'imitation.

- Des meurtres brutaux ne doivent pas être présentés en détail.

- La vengeance n'est pas justifiée dans un film où l'action se passe dans l'époque actuelle.

Les méthodes criminelles ne doivent pas être explicitement présentées.

- Les techniques pour le vol, le cambriolage et le dynamitage de trains, de mines, de bâtiments, etc., ne doivent pas être présentées en détail.

- L'incendie criminel doit être soumis aux mêmes sauvegardes.

- L'utilisation d'armes à feu doit être limitée.

- Les méthodes utilisées dans la contrebande ne doivent pas être présentées.

Le trafic de la drogue ne doit jamais être présenté.

On ne montrera pas la consommation de spiritueux dans la vie américaine, sauf dans les cas où cela fait partie intégrante du scénario ou des caractéristiques d'un personnage.

Sexe

L'institution du mariage et l'importance de la famille sont primordiales.

L'adultère, parfois nécessaire dans le contexte narratif d'un film, ne doit pas être présenté explicitement, ou justifié, ou présenté d'une manière attrayante.

Les scènes de passion :

- Elles ne doivent pas être présentées sauf si elles sont essentielles au scénario.

- Des baisers excessifs ou lascifs, des caresses sensuelles, des positions et des gestes suggestifs ne doivent pas être montrés.

Séduction et viol :

- La suggestion est permise (rien de plus) et seulement lorsqu'il s'agit d'un élément essentiel du scénario.

- Ils ne sont jamais un sujet approprié pour la comédie.

Toute référence à la perversion sexuelle est formellement interdite.

Grossièreté

La présentation de sujets vulgaires, répugnants et désagréables doit être soumise au respect des sensibilités des spectateurs et aux préceptes du bon goût en général.

Obscénité

L'obscénité dans le mot, dans le geste, dans la chanson, dans la plaisanterie, ou même simplement suggérée est interdite.

Costume

1. La nudité (réelle ou suggérée) est interdite ainsi que les commentaires d'un personnage à ce sujet.

2. Les scènes de déshabillage sont à éviter sauf lorsqu'il s'agit d'un élément essentiel du scénario.

3. L'indécence est interdite.

4. Les danses lascives, celles qui suggèrent des relations sexuelles ou comportent des mouvements indécents, sont interdites et les costumes trop révélateurs sont prohibés... »

J’ai bien peur d’avoir contrevenu à tous ces principes.