"L’imagerie populaire — j’entends par ce terme tout dessin qui vit en dehors de l’enceinte réservée au Grand Art, avec un A majuscule — a toujours fait montre d’une exubérance et d’une vitalité qui lui sont propres.
De tels dessins se caractérisent par un trait vigoureux, et, souvent, un solide sens de l’humour. Ce genre de dessin n’étant pas motivé par des considérations esthétiques, il ne me semble pas inutile de classer ses différentes manifestations en plusieurs catégories, à savoir
1. Le dessin satirique, social et politique, couvrant divers modes d’expression, depuis Hogarth jusqu’aux journaux contemporains, en passant par Rowlandson et Cruikshank.
2. Les illustrations de livres, la gamme entière des publications depuis les Incunables jusqu’aux journaux féminins d’aujourd’hui, sans oublier les livres pour enfants et les classiques.
3. La Bande Dessinée, depuis les premiers comic-strips, jusqu’aux publications intéressant certaines minorités ou de pornographie dure), en passant par les histoires policières à suspense pour adultes, à prédominance sexuelle, qui prévalent actuellement en Italie.
4. Le Dessin Publicitaire, depuis les affiches de cinéma jusqu’aux paquets de lessive.
5. Le Dessin Animé.
6. Les Pin-Up.
Toutes ces catégories ont une chose en commun le dessinateur doit prouver ses capacités. Son style graphique doit nécessairement délivrer un message ou communiquer une sensation. S’il ne provoque pas une réaction, le dessin perd toute raison d’être. La nécessité impérieuse d’isoler et d’exprimer pleinement ce message ou cette sensation précise — à laquelle s’ajoutent les stress divers familiers au dessinateur, tels que la concurrence et les délais inexorables — conduit au développement d’une concision naturelle, à la suite de quoi toute information étrangère au but final recherché par le dessinateur est mise au second plan, ou, encore mieux, éliminée.
Chacune de ces catégories — fort arbitraires, j’en conviens — possède ses propres valeurs, son propre jugement de ce qui est bon ou mauvais. On pourrait argumenter que, même en discutant des mérites de l’art érotique explicite ou de la pornographie, le fait que l’on puisse faire un jugement de valeurs, en disant que ceci est meilleur que cela, suggère l’existence d’un mérite esthétique, et que, si la probabilité d’un mérite esthétique existe, alors une telle production devrait être tolérée. Je fais cette observation simplement pour montrer que. quel que soit le point de vue que l’on prenne pour spéculer sur la gamme étendue de la communication visuelle, un esprit ouvert peut être profitable.
Que nous regardions un dessin politique extrêmement élaboré ou une réclame pour une marque de lessive, nous pouvons aussi bien rejeter ou accepter, sur un plan esthétique, l’un ou l’autre Le choix personnel est notre dernière liberté. J’ai la conviction intime que la mauvaise illustration se présente souvent, habilement déguisée, comme une bonne illustration, à savoir qu’elle singe souvent une tendance de l’Art contemporain, avec un grand A.
Ainsi une illustration pour un roman érotique sophistiqué de 1900 s’efforcera de ressembler à un Boucher, ou bien une réclame contemporaine sera un plagiat évident de Lichtenstein. Dans les deux cas, le dessinateur n’a rien apporté à son sujet, en dehors d’une habileté certaine, et, en s’appropriant un style qui n’était pas le sien, il en a fait un cliché, Ceci pourrait être ma définition de la pornographie. Le sort du dessinateur publicitaire a ceci de particulier qu’il ne peut s’approprier le style propre au peintre.
Si l’inverse peut se produire, c’est parce que le peintre peut faire du style son sujet. Le dessinateur qui a réussi est celui qui — comme je l’ai précédemment mentionné — a compris l’essence même de son sujet et qui exclut de son dessin tout ce qui ne concourt pas à l’exprimer le plus clairement du monde, et le plus efficacement.
Ainsi, les meilleurs dessinateurs politiques, dans leurs dessins, permettent seulement aux accessoires les plus indispensables de distraire notre attention, juste un moment, du visage du politicien représenté et caricaturé.
De la même façon, nous pouvons constater une évolution de la Pin-Up, une progression dans sa représentation depuis la jolie fille des débuts, prisonnière d’une composition extravagante, jusqu’à la clarté de la silhouette, presque épurée, des dessins d’un Vargas des années 60..." (Allen JONES).

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